CHAPITRE XVII
Wedge était assis contre le mur de la grande salle de ce qui était jadis le palais du gouverneur de Talasea. Le titre en imposait, mais le bâtiment n’était pas à la hauteur. Fait de bois et de plâtre, il était d’une construction plutôt primitive.
Wedge écoutait ses pilotes se raconter comment ils s’étaient comportés pendant ce qu’ils appelaient entre eux la Déroute Impériale d’Hensara. Ils auraient pu télécharger leurs données et les visualiser sur l’écran holographique, mais cela ne leur aurait pas permis d’exprimer leurs sentiments pendant l’action.
Ainsi, ils réalisent qu’ils sont tous pareils.
— Ils ont fait du bon travail aujourd’hui, dit Wedge, jetant un coup d’œil aux deux Alderaaniens qui partageaient sa table.
Tycho sourit de toutes ses dents.
— Ils ont été formidables ! Trente-quatre adversaires descendus sur trente-six, aucune perte de notre côté. Si je n’avais pas été là, je penserais que c’est de la propagande.
Afyon leva les yeux de sa chope.
— Vous savez comme moi, messieurs, qu’ils ont été sacrément veinards. Même si ce sont d’excellents pilotes, ça ne suffira pas à faire tomber Coruscant.
— Capitaine, je fais partie de la Rébellion depuis aussi longtemps que vous. Je me souviens de la bataille d’Endor. Je sais que l’Eridain s’est bien battu.
— Je vous remercie, commandant Antilles. C’est tout de même vous qui avez été porté en triomphe avec le label de héros de la Rébellion.
Tycho fronça les sourcils.
— Il a fait sauter la seconde Étoile Noire, si vous vous souvenez…
— Je sais. Et vous étiez présent. Je ne dis pas que vous ne méritez pas votre réputation, ni que vos pilotes n’ont pas droit à leur petite fête. Mais notre contribution à la Rébellion est tout aussi importante que la vôtre.
— Je le sais, capitaine. Si l’Eridain n’avait pas été là aujourd’hui, les choses n’auraient pas été aussi faciles pour nous.
Vous vous seriez débrouillés… Qu’est-ce qu’un croiseur pour l’escadron qui a pulvérisé deux Étoiles Noires ?
— La Nouvelle République nous fait passer pour invulnérables, l’escadron et moi, mais c’est loin d’être le cas. Deux d’entre nous seulement ont survécu à la bataille de Yavin. Une demi-douzaine se sont tirés de la bataille de Hoth, et quatre de celle d’Endor.
La Nouvelle République nous utilise comme un symbole, parce qu’il est plus facile d’oublier le sang versé pendant la guerre quand on se concentre sur une poignée de héros. Luke Skywalker est une figure de proue. Yan Solo est parti de rien et il s’est élevé jusqu’au sommet. Moi, je suis seulement un soldat de base, qui fait correctement son job. Et mon job, c’est de neutraliser les Impériaux, et de garder mes pilotes en vie.
Peu m’importe de savoir si nous avons été chanceux aujourd’hui. Ce qui compte, c’est que nous ayons tous survécu. Pour moi, le plus important reste d’avoir conscience que je ne peux faire confiance ni à la chance ni à nos capacités. Et je ne peux pas laisser mes pilotes s’y fier. S’ils le font, ils finiront par se faire tuer en prenant des risques excessifs.
Afyon réfléchit un instant.
— Vous avez raison. Je me souviens de la Guerre des Clones, et de tout le foin qu’on a fait sur les « héros », comme si une douzaine de Jedi et quelques pilotes avaient triomphé à eux seuls. Malgré des années passées à travailler pour la paix, je n’ai jamais oublié le sentiment d’injustice que j’ai ressenti alors. C’est bizarre, non ? Je veux la paix, et pourtant j’aimerais qu’on reconnaisse la part que j’ai prise dans la guerre…
L’autre Alderaanien secoua la tête.
— Nous essayons de réfléchir en termes généraux, et cela cache les contradictions qui font de nous ce que nous sommes. Nous considérons les Impériaux comme des rancors, et ils nous voient comme un troupeau de nerfs stupides ! Penser à eux en terme de front unique est absurde. Nous ne sommes pas tous d’accord entre nous non plus, comme le prouve cette conversation.
Afyon sourit.
— Je n’ai plus entendu ce type de philosophie depuis que notre planète, vous savez bien…
Tycho posa une main compatissante sur l’épaule d’Afyon.
— Oui, je sais. (Il parcourut la salle du regard.) Je ne pense pas que notre groupe s’intéresse à la philosophie ! Mais j’apprécie de pouvoir en parler avec un autre Alderaanien.
Wedge regarda ses pilotes. Titubant légèrement, Nawara Ven se leva et enroula un de ses tentacules autour de son cou comme une écharpe. Le lum local était aussi puissant qu’un cognac corellien et, d’après Gavin, il avait l’odeur d’un dewback de Tatooine en rut.
Nawara se dirigea vers la table de Wedge.
— Pardonnez-moi, nobles chefs, mais nous avons besoin de vous pour prendre une décision dans une affaire qui nous concerne. Ancien homme de loi, j’ai été désigné pour vous présenter les cas.
Wedge ne put s’empêcher de sourire.
— Allez-y !
— Merci, monsieur. D’abord, nous avons le cas du plus mauvais pilote de l’unité. J’ai nommé Gavin Darklighter, qui a gagné cette distinction en n’abattant pas un seul ennemi aujourd’hui.
Les autres pilotes faisaient montre d’une certaine indulgence envers Gavin à cause de sa jeunesse, mais Wedge savait que cela ne durerait pas éternellement. De l’avis de Wedge, Gavin n’était pas le plus mauvais pilote de l’unité, loin de là. Mais son score du jour donnait l’occasion à ses camarades de le taquiner un peu.
— Que l’accusé se lève.
Gavin ne bougea pas.
Bror Jace le saisit par le haut de sa combinaison et le tira de son siège.
— Le plus mauvais pilote que nous ayons ! Comme les gars des Tie, il a descendu zéro ennemis en tout.
L’acidité de Jace lui valut un grognement de Shiel, l’équipier de Gavin.
Le jeune homme rougit.
Le Twi’lek sourit au « tribunal ».
— Nous avons idée qu’il mérite une punition, afin de l’encourager à améliorer ses performances.
Wedge tourna la tête vers les deux autres membres du « tribunal ».
— Une suggestion, messieurs ?
Tycho leva le doigt.
— Il me semble qu’il serait adéquat de confier Gavin comme « apprenti » au meilleur pilote. Ça lui donnera l’occasion de s’améliorer.
Excellente idée, Tycho. Corran ne sera pas trop dur avec lui. De plus, avoir une responsabilité supplémentaire lui fera oublier ta situation.
— C’est une bonne idée. Capitaine Afyon ?
— Oui. J’aimerais avoir de l’aide pour rédiger les rapports de performances de l’Eridain…
La suggestion d’Afyon provoqua un tollé au sein de l’escadron.
Wedge nota d’utiliser la menace d’écrire des rapports à des fins disciplinaires.
— Conseiller, je crois que la sentence est rendue.
Nawara se redressa et se tourna vers le jeune homme.
— Gavin Darklighter, tu es condamné à servir d’assistant et d’esclave au meilleur pilote de l’escadron jusqu’à ce que tu ne sois plus mauvais comme un cochon.
Bror eut un sourire de prédateur et tira sur la manche de Gavin.
— Parfait. Tu peux commencer par aller me chercher un pichet de lum.
Wedge fronça les sourcils.
— Pourquoi vous considérez-vous comme le meilleur pilote, monsieur Jace, alors que vous avez abattu cinq ennemis et monsieur Horn six ? En faisant la moyenne des deux derniers engagements, monsieur Horn en est à quatre victoires et demie. Vous, M. Qrygg et moi en avons chacun deux et demie.
Nawara sourit, révélant des dents pointues.
— Voilà le point de discorde, monsieur ! M. Jace est d’avis que les pourcentages sont plus réalistes. Il a descendu cinq des six bombardiers qu’il a affrontés, soit quatre-vingt-trois virgule trente-trois pour cent des Tie.
Gavin s’assit en ricanant.
— C’étaient de gros bombardiers. Il aurait fallu être aveugle pour les rater !
Le Twi’lek continua ses explications.
— M. Horn, d’autre part, a descendu seulement six Tie sur trente, ce qui nous donne un pourcentage de vingt pour cent.
Wedge secoua la tête.
— C’est ridicule. Les pourcentages n’ont rien à voir là-dedans.
— Si vous permettez, messieurs, dit Corran en se levant, je suis d’accord pour décider en utilisant les pourcentages.
— Allez-y, Horn.
Corran croisa les bras sur sa poitrine.
— Tu veux un véritable affrontement, Jace ?
Le Thyferrien leva la tête et regarda Corran de haut.
— Facile à dire pour un lieutenant.
— Je suis d’accord pour nous mettre a égalité, et je te concède même cette manche. Je suis prêt à te déclarer le meilleur pilote jusqu’à la prochaine mission. Maintenant, faisons la moyenne des résultats de Gavin et des miens. Il a eu un Tie à Chorax, et moi neuf. Je divise par deux. Nous sommes à égalité : cinq chacun. Toi et moi sommes des as, et lui aussi.
— Ne fais pas ça, Corran.
Le Corellien fit un clin d’œil à Gavin.
— J’ai confiance en toi, petit. Tu te débrouilleras bien.
— Nous commençons tous à égalité ? demanda le Thyferrien.
— Oui. À partir de maintenant, nous compterons les ennemis descendus par chaque pilote, ou nous ferons la moyenne. À toi de choisir.
Bror leva un sourcil.
— Tu veux toujours ajouter tes résultats et ceux de Gavin ?
Le Corellien fit signe que oui et flanqua une tape sur l’épaule de Gavin.
— Tu es d’accord pour relever le défi ?
Wedge vit des émotions conflictuelles passer sur le visage de Bror Jace. Il aurait préféré affronter Horn seul afin de prouver qu’il était meilleur. Mais les règles que Corran proposait étaient en sa faveur. À moins que Corran ne soit génial, descendant deux ennemis chaque fois que Jace en avait un, ou que Gavin améliore considérablement ses performances, Bror avait toutes les chances de l’emporter haut la main.
La différence entre leurs capacités n’était pas assez grande pour donner à Corran une réelle chance de vaincre.
— Nous ferons la moyenne, pour que Gavin reste dans la course, mais nous nous retrouverons face à face quand je le déciderai.
— Je n’avais pas imaginé les choses autrement.
— Enfin, comme nous avons abattu le plus de pilotes à Hensara, nous partagerons la couronne de meilleur pilote jusqu’à la prochaine mission.
Corran sourit.
— Affaire conclue !
Wedge hocha doctement la tête.
— D’après ce calcul, Bror et Corran sont nos meilleurs pilotes ex æquo, et Gavin a descendu cinq ennemis. Exact, Conseiller ?
— Si tous les membres du tribunal sont d’accord, dit le Twi’lek.
Les trois juges acquiescèrent.
— L’accord vaut-il pour la désignation du plus mauvais pilote ? demanda Wedge.
— Oui, fit Nawara en souriant.
Wedge se leva et flanqua une tape amicale dans le dos du Twi’lek.
— Parfait. Dans ce cas, avec un seul ennemi abattu, cela fait de vous le plus mauvais pilote. Il est juste que l’homme de loi goûte à sa propre médecine.
Nawara fronça les sourcils.
— C’est sans doute pour ça que je suis devenu pilote, marmonna-t-il.
— Sentence suspendue pendant les réjouissances, décida Antilles. Nous avons montré nos capacités aujourd’hui. Demain, nous recommencerons l’entraînement.
Kirtan Loor gratta la marque rouge qui grossissait derrière son oreille droite. La roséole de Rachuk était un virus qui s’attaquait à tous ceux qui posaient un pied sur la planète, lui avait-on dit. Il suffisait d’attendre que ça passe. Kirtan était exaspéré car les démangeaisons le distrayaient.
Étudiant de nouveaux les données provenant d’Hensara et les performances moyennes des ailes X, il en déduisit que cet escadron dépensait des ressources considérables pour l’entretien de ses vaisseaux, tous en excellent état.
Avec l’époustouflant ratio d’ennemis descendus, une conclusion s’imposait : l’Escadron Rogue avait combattu à Hensara. Les enregistrements visuels étaient médiocres, mais le peu qu’on voyait des blasons corroborait les images enregistrées par le Vipère Noire. Une des communications interceptées comportait le prénom « Wedge ». Kirtan avait même cru reconnaître la voix de Corran Horn dans certains dialogues.
L’amiral Devlia n’avait pas été convaincu, mais il avait accepté d’envoyer des unités contre la base de l’escadron, si Kirtan parvenait à la localiser.
Devlia jugeait la tâche impossible. Elle l’aurait été pour n’importe qui. Mais Kirtan Loor avait une mémoire visuelle parfaite…
Plusieurs ailes X avaient pénétré dans l’atmosphère d’Hensara III, laissant des traces de carburant ionisé. L’analyse spectrale de ces traces permettait de retrouver la quantité de carburant utilisé par seconde en vitesse subluminique. Ces chiffres recoupaient les performances connues des ailes X.
Les troupes stationnées sur Hensara avaient enregistré les vecteurs d’entrée et la vélocité de plusieurs vaisseaux rebelles. Il n’était pas difficile de reconstituer leur itinéraire à partir de ces éléments. Kirtan se servit de la consommation de carburant pour calculer le poids des vaisseaux à chaque vol hyperspatial. À condition qu’ils n’aient pas repris de carburant en chemin, et qu’ils aient fait le plein en partant, le résultat final indiquerait dans quelle plage de distance se trouvait la base.
Kirtan réduisit la plage de moitié en supposant que les Rebelles avaient gardé une réserve de carburant suffisante pour un combat plus long. Étant donné les endroits où l’escadron avait été repéré par les Impériaux, Kirtan détermina une petite section de l’espace d’où pouvaient provenir les vaisseaux.
Il restait quand même cinq cents systèmes solaires dans cette zone. Kirtan élimina les mondes réellement loyaux à l’Empire, ainsi que les planètes ouvertement rebelles, car les Renseignements y avaient suffisamment d’agents pour apprendre la présence de l’Escadron Rogue.
Les mondes inhospitaliers passèrent en queue de liste. La base de Hoth avait démontré que les Rebelles pouvaient choisir de telles planètes pour s’y cacher si les circonstances étaient assez graves. Mais ils préféraient des lieux possédant un minimum d’installations.
Kirtan se demanda si les Rebelles avaient conscience de leur prédilection pour les mondes abandonnés au temps de l’Ancienne République.
Un besoin subconscient de se trouver des racines, peut-être ?
La liste finale se limitait à dix planètes.
À Chorax, les ailes X n’avaient pas eu l’intention de quitter l’hyperespace. Leur vecteur d’entrée permettait donc de déterminer leur destination. À partir de là, Kirtan entra les données dans un modèle informatique et demanda quels mondes de sa liste correspondaient le mieux à ce vecteur.
Un seul avait une corrélation parfaite. Kirtan sourit.
— Talasea, dans le système de Morobe.
Il téléchargea les données dans son bloc-notes électronique et se dirigea vers le bureau de l’amiral Devlia.
— Nous savons où tu te caches, Escadron Rogue ! Et nous allons te détruire.